Awatsihu

LA LETTRE DU MUSICIEN

Une légende amazonienne en Isère

« Une légende de mots et de sons », dit le compositeur Philippe Forget à propos d’Awatsihu ou Comment les oiseaux trouvent leurs chants, “picolo opéra” de cinquante minutes inspiré d’un conte amazonien. Cinq voix de femmes parfaitement préparées (Catherine Renerte, Thi-Lien Truong, Delphine Terrier, Anne Crabe et Sophie Delaplane), membres des Solistes de Lyon-Bernard Tétu, dont on sait la curiosité des répertoires les plus divers, suffisent à nous dire comment un enfant tue un monstre et à faire chanter les oiseaux parmi les bruissements de la forêt ; elles sont soutenues par les clarinettes de l’excellent François Sauzeau, lui-même soliste de l’Orchestre National de Lyon. Pour séduire un public à partir de 7 ans, Philippe Forget écrit dans un langage simple mais jamais régressif, adapté au symbolisme de l’histoire. La scénographie sobre et subtile d’Étienne Yver, les lumières évocatrices de Mathias Roche recréent la pénombre mystérieuse du labyrinthe amazonien, comme la mise en scène pertinente de Claire Monot, qui donne une dimension rituelle au spectacle et fait jouer les chanteuses comme de vraies comédiennes. Réalisation à la fois picturale et visuelle, l’œuvre est accompagnée d’une exposition de toiles d’Étienne Yver et d’objets du Musée des Confluences de Lyon. A la Rampe d’Échirolles, le spectacle s’inscrit dans le festival grenoblois des 38èmes Rugissants, grand-messe annuelle de la modernité musicale, ouverte à toutes les formes de création (19 novembre).

Didier van Mœre, décembre 2009

 

 

Espace réservé pour l'imageAffiche awatsihu

Note d’intention

« Il faut habiter poétiquement la terre ». Plus que jamais, alors que je travaille sur Awatsihu, cet opéra en devenir, baigné de pluie et de mystères, cette phrase faussement légère d’Hölderlin me pourchasse.

La terre que nous habitons, si pauvrement souvent, est devenue très petite et les mythes, même lointains, peuvent enrichir aujourd’hui notre réalité. Et parce que leurs obscurités ne sauraient être totalement éclairées par la science, ces récits demeurent toujours en partie indéchiffrables et donc attirants. Une société comme la nôtre, au nom d’une rationalité peut-être mal comprise, a voulu un temps écarter toute pénombre de la pensée. Pourtant, les mythes dessinent les traits d’union nécessaires entre un quotidien intelligible et un incompréhensible en nous, entre le merveilleux et l’ordinaire. Clarté, ivresse et savoir y cohabitent, vision et connaissance, imagination et analyse. L’espace mythique est le grand écart fondamental, à l’image de la Baleine Blanche de Moby Dick dont les yeux si écartés, nous dit Melville, lui procurent deux visions simultanées des choses.
Si, dans ce spectacle, jamais nous n’avons été tentés de nous prendre pour des anthropologues, la collaboration avec le Musée des Confluences de Lyon est pour nous déterminante. Le contact qui nous a été donné d’objets ordinaires ou cérémoniels amazoniens dans l’intimité des réserves du Musée nous a aidés à mieux toucher du doigt les enjeux émotionnels et symboliques d’Awatsihu, ce mythe Trumai qui a inspiré l’opéra. Accompagnés de Marion Trannoy, conservatrice en charge des collections du continent américain, je l’ai vécu comme une confrontation très instructive du sensible et de la raison, car tout savoir rationnel, voire scientifique, ne fait qu’ajouter à la compréhension et à la délectation artistique et donc à la lisibilité poétique de notre Monde.
Cela peut apparaître terriblement ambitieux et prétentieux de vouloir, à travers un spectacle, emmener ainsi les spectateurs dans cette aventure poétique, mais nombre d’entre nous, n’étant plus soumis dans leur vie qu’à un marché dont le seul but est la consommation (consommation de biens culturels compris), ne vivent plus aucune rencontre d’ordre artistique. Il y a donc, me semble-t-il, un caractère d’urgence dans ce désir de sensibilisation du corps et de l’esprit par le moyen de l’art.
Me plongeant dans la relation du mythe d’Awatsihu, j’y ai vu une expérience poétique du corps en même temps qu’une expérience poétique de la pensée, et c’est à ce double cheminement que j’aimerais que notre spectacle invite le public. Aussi, pour la création des éléments de scénographie et de costumes de cet opéra, ai-je été particulièrement sensible aux motifs géométriques que l’on retrouvait aussi bien dans les poteries et vanneries que dans les savantes et complexes peintures corporelles rituelles.

L’univers de l’opéra me semble le lieu juste pour déployer ces éléments, car il peut être la clairière énigmatique où, par la présence physique des interprètes, ils se développent dans leurs chants ; un opéra est en effet singulièrement un univers crypté, une utopie vivante où aucun art n’existe par lui-même et où chaque art se doit d’être généreux vis-à-vis des autres. Et plus que nulle part ailleurs, c’est dans et par l’émotion et le plaisir que tout doit y tendre pour atteindre cette note sensible.

Étienne Yver, février 2009